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Les mobiles surexposés : leur formation en pâtit

Les CRS et EGM, spécialisés dans la gestion des foules et le maintien de l’ordre, sont souvent employés pour des missions annexes : sécurisation de sites sensibles, lutte contre l’immigration clandestine, surveillance statique de bâtiments publics, ambassades, lieux de culte, etc.
Environ 10 % des unités sont utilisées quotidiennement pour sécuriser des territoires impactés par la délinquance. D’autres sont affectées à la surveillance des frontières et des centres de rétention.
Frédéric Le Louette a vingt-huit ans d’ancienneté dans la profession dont vingt-quatre dans des unités opérationnelles de Gendarmerie mobile. Il est aussi membre du conseil d’administration de l’association professionnelle nationale de militaires GendXXI. Il nous explique les difficultés de son métier.


Le Pandore – Faut-il réorganiser la sécurisation et le maintien de l’ordre en France ?
Frédéric Le Louette – Les unités de force mobile (UFM), dans leur ensemble, sont très sollicitées.
Les escadrons de Gendarmerie mobile (EGM) et les groupements de Gendarmerie mobile (GGM) n’échappent pas à ce sur-emploi.
Depuis maintenant de nombreux mois, nous vivons, non plus une succession de crises, mais un chevauchement de crises.
Le récent contexte politique vient encore aggraver les tensions, sur l’emploi des unités.
Il faudrait réorganiser la sécurisation et le maintien de l’ordre en France. Il y a eu des améliorations, ces dernières années, après la crise des Gilets jaunes, notamment des réorganisations internes à la Gendarmerie.
Mais, si nous constatons aujourd’hui un sur-emploi, c’est qu’il y a un manque cruel d’unités en France.
Même si le « Beauvau de la sécurité » a permis la récente création de 11 UFM (7 escadrons et 4 CRS) nous sommes loin d’avoir rattrapé les dissolutions de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Le contexte sécuritaire s’est fortement dégradé depuis les années 2010-2011.
Les demandes et les besoins des préfets et de l’unité de coordination des forces mobiles (UCFM) ont fortement augmentés.
Les Gendarmes mobiles (GM) n’ont plus le temps de renforcer les unités de gendarmerie départementale (GD) ce qui a forcément des conséquences sur la délinquance dans les zones tenues par la Gendarmerie.

Frédéric Le Louette, membre titulaire du CFMG, Il est aussi membre du conseil d’administration de l’association GendXXI.

Le Pandore – Quelles sont les tâches qui ne correspondent pas à leur formation et qui les vampirisent : les gardes statiques, l’immigration par exemple ?
Frédéric Le Louette – La Gendarmerie mobile (GM) est victime de son succès. C’est un véritable « couteau Suisse » pour les gouvernements. C’est une force projetable, bien organisée et formée, avec une forte résilience.
La Gendarmerie mobile a un « spectre missionnel » important. Elle peut agir en tout lieu et dans des conditions extrêmes. Lors de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la Gendarmerie a donné des moyens matériels et humains (équivalents temps plein : ETP) à différentes administrations.
Par exemple, au ministère de la Justice pour la gestion des transfèrements et à la Police aux frontières (Paf) pour la gestion des centres de rétention administratifs (CRA).
Depuis de nombreux mois, la Gendarmerie a repris une partie de ses missions sans aucune compensation. L’aide de la Gendarmerie aux autres administrations n’est pas sans conséquence sur son organisation et la disponibilité des escadrons de Gendarmerie mobile.
Un projet visant à retirer la GM (Gendarmerie mobile) de la garde statique des ambassades n’a pas été mis en œuvre. Nous ne perdons pas espoir de voir le projet aboutir.

Le Pandore – Cela signifie qu’on ne peut les déployer à 100 % contre les émeutes ou les manifestations tendues, leur cœur de métier ?
Frédéric Le Louette – Il existe des « missions permanentes ». La Gendarmerie mobile ne peut pas y renoncer sans accord de l’autorité politique.
Pourtant, la capacité de la Gendarmerie mobile (GM) à basculer d’une mission à l’autre est une très grande force. La réversibilité des unités ne peut pas combler le manque d’unités disponibles.
Clairement, plus vous avez d’escadrons bloqués sur des missions permanentes, moins vous avez d’unités disponibles pour répondre à l’urgence. C’est mathématique.
La projection actuelle en Nouvelle-Calédonie rend encore plus complexe cette disponibilité des unités.
Je tiens à préciser également que les unités et les personnels doivent avoir des temps de formation. Ils sont nécessaires et trop souvent supprimés.

© Senat.fr

Le Pandore – Est-ce que la formation s’en ressent et pourquoi ?
Frédéric Le Louette – Oui la formation est forcément très lourdement impactée. C’est l’une des variables d’ajustement de la disponibilité des unités. Les marges de manœuvre ont presque totalement disparu.
La formation « sur le tas » et la hausse des opérations permettent de compenser partiellement et temporairement le manque de formations en unité mais cela ne peut pas être satisfaisant.
La baisse du volume de formations n’est ni un choix de nos chefs, ni un souhait des gendarmes.

Le Pandore – Y-a-t-il assez d’effectifs ?
Frédéric Le Louette – Non. Comme je vous l’ai déjà indiqué, il n’y a pas assez d’effectifs. Les unités de Gendarmerie mobile ont été abondées en effectifs en prévision des Jeux olympiques et paralympiques (Jop). C’est une très bonne décision qui permettra de faire tourner un peu les personnels déplacés.
En revanche, nous avons un manque important d’unités et encore plus d’unités disponibles.
La Gendarmerie compensera ce manque d’unités par la projection de compagnies de marche (CDM), notamment sur les Jeux olympiques et paralympiques (Jop). La manœuvre a déjà été faite sur le 80e anniversaire du débarquement et la bataille de Normandie.
Pour notre association GendXXI, cela ne peut pas être satisfaisant au regard du manque de formations et de l’absence d’équipement. Les manœuvres en unités constituées ne s’improvisent pas et constituent un véritable défi logistique.
De plus, les personnels qui seront déplacés pour les Jop ne seront pas présents dans les territoires ou sur le dispositif estival de protection des populations (DEPP).
Il est regrettable que le manque d’effectifs pénalise la sécurité de la population. Sur ce point également, la hiérarchie de la Gendarmerie n’a pas d’autre choix que de faire « au mieux ».

Le Pandore – L’affectation géographique des mobiles pose-t-elle également un problème aujourd’hui ?
Frédéric Le Louette – Il ne me semble pas que la position géographique des unités de gendarmerie mobile pose problème. Elles sont globalement convenablement réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Le sur-emploi systématique des unités au profit de la préfecture de Police (PP) est, lui, une véritable question. Cela oblige les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) à perdre beaucoup de temps sur la route.
Cela a des conséquences néfastes sur le bon état des véhicules des unités comme sur la fatigue des personnels.
Les arbitrages se font quasiment toujours au bénéfice de la Préfecture de police de Paris. Aussi, la réponse pour permettre une meilleure répartition des missions ne peut être que politique. La Gendarmerie doit poursuivre la mise en place d’escadrons « guépard » pour permettre une projection plus rapide, sur l’ensemble du territoire national, en cas de forte tension.

Lire aussi l’article sur le journal Le Pandore et la Gendarmerie n°41 sur Calameo.

Rédigé par pandore

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