Ce dispositif, qui ambitionnait de devenir une sorte de successeur au service militaire, a été promu comme un « projet de société » visant à renforcer la cohésion nationale, l’engagement civique, et l’insertion des jeunes. Toutefois, cinq ans après son lancement, le bilan est accablant. Le rapport des « Sages de la rue Cambon » met en lumière une série de défaillances, tant sur le plan de l’organisation que sur celui des résultats obtenus, révélant ainsi un projet en proie à une « fuite en avant » et à une « gestion dans l’urgence ». Cette analyse fait état d’objectifs de mixité sociale « non atteints », d’une généralisation « non préparée », d’un coût « largement sous-estimé » et d’une gouvernance encore floue, marquée par l’absence de coordination interministérielle.
Les origines et les ambitions du SNU : un projet ambitieux mais irréaliste
Emmanuel Macron a annoncé la création du SNU durant la campagne présidentielle de 2017, dans un contexte marqué par les attentats terroristes de 2015. Il s’agissait d’instaurer un « service national obligatoire » permettant aux jeunes de vivre une expérience encadrée, proche de la vie militaire, pour renforcer la résilience et la cohésion de la nation. Toutefois, dès sa conception, le projet s’est heurté à des défis juridiques et pratiques. Contrairement au service militaire, rendu obligatoire pour les jeunes hommes avant sa suspension en 1997, le SNU ne peut pas être imposé aux mineurs de 15 à 17 ans, les publics ciblés. En conséquence, le dispositif repose sur le volontariat, limitant ainsi sa portée et sa capacité à atteindre les objectifs affichés.
Le SNU a été présenté comme un programme en deux phases : d’abord, un séjour de cohésion de deux semaines, durant lequel les jeunes participent à diverses activités éducatives et civiques encadrées par des formateurs ; ensuite, une mission d’intérêt général d’au moins 84 heures, à réaliser dans les mois suivant le séjour. Le gouvernement a mis en avant l’aspect civique et l’idée d’un engagement au service de la société, mais le dispositif n’a jamais pleinement répondu aux attentes de ses promoteurs.
Une « montée en charge à marche forcée » et des résultats insuffisants
Le rapport de la Cour des comptes décrit une « montée en puissance » rapide et mal maîtrisée, marquée par une augmentation continue du nombre de jeunes participants attendus chaque année. En 2023, l’objectif était d’accueillir 64 000 jeunes pour le séjour de cohésion, mais seuls 40 000 y ont participé, un chiffre largement en deçà des ambitions. Le taux de désistement, atteignant 28 %, montre la difficulté de mobiliser les jeunes pour ce dispositif. De plus, les retours des participants soulèvent des préoccupations sur l’encadrement et l’organisation des séjours, pointant un manque de formation des encadrants et des conditions parfois inadéquates.
Le rapport souligne également que les objectifs de mixité sociale, l’un des piliers du SNU, sont loin d’être atteints. Selon une enquête de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)publiée en décembre dernier, seulement 5% des participants proviennent des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). En revanche, les enfants de cadres ou de familles liées aux institutions militaires et de sécurité sont surreprésentés. Cet écart résulte en partie de l’impossibilité de rendre le SNU obligatoire, ce qui empêche de cibler les jeunes issus de milieux moins favorisés, souvent plus réticents à s’engager de manière volontaire.
Des difficultés disciplinaires et un encadrement problématique
Les défis disciplinaires représentent un autre point noir du SNU. En 2023, 33 exclusions de jeunes pour motifs d’agressions ont été rapportées, ainsi que 17 cas de comportements inappropriés de la part d’encadrants, incluant des agressions, du harcèlement et des propos déplacés. Ces incidents soulignent les tensions et les risques associés à une généralisation précipitée du dispositif. En effet, la Cour des comptes avertit que l’élargissement du SNU à des publics moins volontaires risque d’exacerber ces difficultés et de fragiliser encore davantage la cohésion de groupe, pilier central du programme.
En 2024, le gouvernement envisage de renforcer l’intégration des jeunes des quartiers prioritaires via des « classes de seconde engagées », où les séjours de cohésion seraient intégrés au temps scolaire. Cette mesure, censée encourager la participation, risque néanmoins de contraindre des jeunes peu motivés, ce qui pourrait nuire à l’ambiance des séjours et à la dynamique éducative attendue. Le rapport cite des exemples de comportements inappropriés, tels que le refus de chanter la Marseillaise ou la consommation de cannabis et d’alcool, qui démontrent le défi de maintenir un cadre disciplinaire strict.
Une gestion défaillante
La gestion des ressources humaines du SNU est critiquée. Les encadrants, souvent bénévoles ou recrutés ponctuellement, ne bénéficient pas d’une formation suffisante ni d’un accompagnement adéquat. Les renforts prévus dans la loi de finances 2024 (75 équivalents temps plein) sont jugés insuffisants pour améliorer la situation. Le rapport souligne que cette insuffisance de ressources humaines et de formation pourrait mettre en péril la qualité et la sécurité des séjours de cohésion.
Un coût en forte hausse et des perspectives incertaines
Le coût du SNU est un autre sujet de controverse. Depuis 2020, les dépenses liées au dispositif ont explosé, passant de 30 millions d’euros à 160 millions en 2024, selon la loi de finances initiale. Ce budget, financé en grande partie par le ministère de l’Éducation nationale, est souvent critiqué par les syndicats enseignants, qui estiment que ces ressources seraient mieux utilisées pour répondre aux besoins urgents du système éducatif. Le rapport de la Cour des comptes rappelle que ces dépenses s’inscrivent dans un contexte de restriction budgétaire généralisée, ce qui renforce les critiques sur l’opportunité d’investir autant dans un programme aux résultats mitigés.
Pour l’avenir, la Cour des comptes appelle à une révision en profondeur du dispositif avant toute généralisation. Sans stratégie claire pour l’emploi et le recrutement des encadrants, et sans une meilleure gouvernance, le SNU risque de continuer à accumuler les échecs. Les ambitions initiales de mixité sociale, de cohésion nationale et d’engagement civique sont aujourd’hui loin d’être réalisées. À moins de redéfinir ses objectifs et d’améliorer sa mise en œuvre, le SNU risque de rester un symbole d’une promesse politique non tenue, déconnectée des réalités et des attentes des jeunes.
Conclusions
Le SNU, malgré des intentions louables, se heurte à de nombreux obstacles structurels et disciplinaires. Pour devenir un véritable outil de cohésion sociale, il nécessiterait une refonte profonde de sa gouvernance, de son modèle de financement, et une meilleure préparation des jeunes et des encadrants. Le chemin reste long pour que le SNU puisse répondre aux ambitions qui lui ont été assignées.