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LE MAL ÊTRE DES GENDARMES : DES DEMISSIONS EN CASCADE

DDM SEBASTIEN LAPEYRERE GIMONT LE 04/03/2018; FD ACCIDENT DE LA CIRCULATION SUR LA ROUTE NATIONALE RN 124 A GIMONT COLLISON FRONTALE ENTRE 2 VOITURES 3 BLESSES DONT 1 GRAVE GIROPHARE BLEU DE GENDARMERIE SECURITE DELINQUANCE ACCIDENT ILLUSTRATION

La gendarmerie nationale française traverse une crise profonde, symbolisée par une vague sans précédent de démissions et de départs anticipés, avec plus de 15 000 départs enregistrés en 2022, un record selon la Cour des comptes. Ce phénomène, largement documenté et débattu, met en lumière un mal-être généralisé au sein des forces de gendarmerie, qui trouvent dans la dégradation des conditions de travail, le manque de reconnaissance, ainsi que la multiplication des réformes controversées, des raisons de remettre en question leur avenir au sein de l’institution. Un groupe Facebook privé, « GIE : Côté démission », fondé en janvier 2024, est devenu l’un des symboles de ce malaise, rassemblant près de 22 000 membres, soit environ un cinquième des effectifs actifs de la gendarmerie.

LA MONTEE DU MAL-ETRE ET DES DEPARTS

Le phénomène de la « grande démission » prend racine dans une accumulation de frustrations au sein de la gendarmerie. Les gendarmes y dénoncent un quotidien marqué par des conditions de travail dégradées et un sentiment d’abandon de la part de leur hiérarchie. Le groupe Facebook « GIE : Côté démission » est devenu un espace où les gendarmes peuvent exprimer leur mal-être et partager des informations pratiques sur les démarches pour quitter l’institution. Pour beaucoup, la démission, bien que difficile en raison de leur statut militaire, apparaît comme une échappatoire face à une situation professionnelle insoutenable.

L’exemple de François*, un ex-adjudant avec 27 ans de service, illustre cette dynamique. Parti en juin 2024, François explique qu’il n’aurait jamais pensé quitter la gendarmerie avant ses 50 ans, mais les conditions de travail l’ont poussé à anticiper son départ. Il n’est pas isolé : de nombreux témoignages dans le groupe Facebook décrivent des situations similaires. L’ampleur de la communauté qui s’est constituée autour de « GIE : Côté démission » reflète l’ampleur du malaise. Le groupe, avec ses 22 000 membres, protège l’anonymat de ses utilisateurs, leur permettant de partager leurs expériences sans crainte de représailles, un aspect crucial dans un corps de métier où le devoir de réserve est une contrainte majeure.

Les causes du malaise : conditions de travail et réformes controversées

Parmi les nombreuses raisons qui poussent les gendarmes à envisager la démission, les conditions de travail figurent en tête. La charge de travail est devenue insupportable pour beaucoup, en particulier dans les brigades, où la surveillance permanente, de jour comme de nuit, et l’accueil du public constituent un lourd fardeau. Ces unités, qui sont le maillage de base de la gendarmerie sur le territoire, ont vu leurs effectifs diminuer, tandis que les zones à couvrir se sont étendues. Cette situation, aggravée par la fermeture de 175 brigades sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a mis une pression énorme sur les gendarmes restants.

L’ex-adjudant François, par exemple, relate des journées de travail de 21 heures, notamment lors d’événements comme des rave parties, où presque tous les effectifs étaient mobilisés, laissant des territoires entiers sans couverture suffisante. Ces situations de surmenage sont récurrentes et s’accompagnent d’une profonde frustration liée au manque d’effectifs et à l’augmentation des missions à accomplir.

L’introduction du Dispositif de gestion des événements (DGE) en 2020 a également été un facteur déclencheur du mécontentement. Ce système, censé optimiser le déploiement des patrouilles en analysant les données d’interventions passées, est perçu comme un échec par beaucoup de gendarmes. François explique que ce dispositif, bien qu’il visait à réduire les astreintes, n’a fait qu’aggraver la situation en prenant des effectifs de brigades déjà en sous-effectif pour constituer des patrouilles sur de vastes zones. Cette surcharge de travail, combinée à un manque criant de moyens, a entraîné des retards considérables dans les procédures, certains gendarmes accusant jusqu’à six mois de retard dans le traitement de dossiers.

Le DGE est perçu comme un « point de rupture entre la hiérarchie et la base », selon le chercheur Mathieu Zagrodzki. La base le considère comme une charge supplémentaire inutile qui perturbe leur rythme de travail, tandis que la hiérarchie y voit un moyen d’occuper la voie publique en permanence, conformément aux objectifs gouvernementaux. Cet écart de perception illustre un des maux profonds de la gendarmerie actuelle : une déconnexion croissante entre les aspirations des gendarmes de terrain et les décisions prises par la hiérarchie.

Les effets de la surcharge de travail et des réformes sur la vie personnelle

Les conséquences de ces réformes et de cette surcharge de travail sont lourdes, non seulement sur le plan professionnel mais aussi personnel. François, par exemple, explique que les nouvelles dispositions d’astreinte de nuit, où les gendarmes sont responsables de deux fois plus de territoire que de jour, l’ont privé de sommeil et rendu la récupération physique de plus en plus difficile avec l’âge. Cette situation se reflète dans de nombreux témoignages similaires, où les gendarmes évoquent une fatigue croissante, tant physique que mentale, accentuée par l’évolution des technologies utilisées dans les procédures pénales, qui sont jugées inadaptées et chronophages.

En plus de ces problèmes structurels, les gendarmes sont confrontés quotidiennement à la violence et à la misère humaine, ce qui affecte profondément leur moral. Les témoignages sur le groupe Facebook évoquent les suicides, les violences intrafamiliales, les agressions sexuelles et autres situations dramatiques auxquelles ils sont exposés, avec ce sentiment d’être seuls et démunis face à des procédures complexes et des moyens insuffisants. Cet environnement de travail hostile conduit à un épuisement professionnel massif, notamment chez les gendarmes plus âgés, qui peinent à s’adapter à ces transformations rapides.

La crise de la violence et des infrastructures

La situation est aggravée par une augmentation significative des violences envers les gendarmes. Les statistiques montrent une progression de 88 % des agressions physiques et verbales en dix ans, avec plus de 7 472 incidents signalés en 2022, dont 1 778 impliquant des armes. Le métier de gendarme est devenu plus dangereux, et cette montée en flèche de la violence contribue à l’épuisement général des forces de l’ordre.

En outre, les infrastructures vieillissantes de la gendarmerie ne font qu’ajouter à la détérioration des conditions de travail. David Ramos, président de l’Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle (APNM GendXXI), souligne que l’immobilier est un « gros point noir ». De nombreux logements de gendarmes sont dans un état déplorable, avec des problèmes de moisissures, d’isolation thermique défaillante et d’insalubrité générale. La Cour des comptes a également souligné ces problèmes dans son rapport sur le budget « sécurités » de 2023, notant que le patrimoine immobilier de la gendarmerie est dans un état dégradé, ce qui nuit aux conditions de vie et de travail des gendarmes.

Le sentiment d’abandon et la fierté de l’institution

Face à cette accumulation de problèmes, un sentiment de découragement profond s’installe chez les gendarmes. Comme le souligne un ancien conseiller de concertation anonyme, il y a une forte impression que les alertes des gendarmes concernant la dégradation de leurs conditions de travail ne sont pas entendues par la hiérarchie. L’institution, perçue comme en retard de 15 ans par rapport à d’autres services publics comme l’hôpital, semble sur une pente descendante où les décisions prises sont souvent jugées comme déconnectées de la réalité du terrain.

Pourtant, malgré cette situation critique, un sentiment de fierté persiste. Beaucoup de gendarmes, même ceux qui envisagent de démissionner, soulignent qu’ils restent profondément attachés à leur métier et à leur mission de service public. Pierre, un gendarme mobile, explique qu’il ne souhaite pas « cracher entièrement sur l’institution », car être gendarme reste une source de fierté. Cette ambivalence illustre la complexité du problème : d’un côté, les gendarmes ressentent un profond attachement à leur rôle ; de l’autre, ils sont accablés par des conditions de travail qui les poussent vers la sortie.

Une remise en question de l’avenir

Au-delà des départs massifs, la crise que traverse la gendarmerie soulève une question plus large : celle de l’avenir même de l’institution. Les réformes mal perçues, l’accumulation des départs et le sentiment d’abandon de la base par la hiérarchie conduisent à une remise en question fondamentale de la manière dont la gendarmerie est dirigée et de son rôle dans la société.

Le phénomène de la « grande démission » dans la gendarmerie est le symptôme d’un malaise plus profond qui touche l’institution dans son ensemble. Si des mesures ne sont pas prises pour améliorer les conditions de travail, fournir des ressources adéquates et reconnecter la hiérarchie aux préoccupations du terrain, cette crise pourrait continuer à s’aggraver. 

Rédigé par pandore

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