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LE LOGEMENT DES GENDARMES : UN SCANDALE D’ETAT

Un rapport parlementaire alerte sur le sous-investissement chronique dans l’entretien du parc immobilier de la Gendarmerie, qui menace les conditions de vie et de travail des gendarmes.
Ce constat alarmant a été révélé par le sénateur ( LR) de la Vienne Bruno Belin dans un récent rapport pour la commission des Finances du Sénat, ce qui représente une « dette grise » de quelque 2,2 milliards d’euros sur dix ans. Colossal ! Bruno Belin est notre invité.

Réunion de travail au Sénat.

Le Pandore – Qu’avez-vous constaté lors de vos déplacements sur le terrain ?
Sénateur Bruno Belin – J’ai constaté plusieurs problèmes critiques concernant les infrastructures et les conditions de travail des gendarmes. Les conditions matérielles dans certains bâtiments sont souvent lamentables, ce qui a conduit à la désertification de certaines gendarmeries, laissant dans certains cas des villes de 1 000 habitants sans couverture. Cette situation touche aussi bien les conditions de vie des gendarmes  –  et celles de leurs familles par la même occasion  –, leurs conditions de travail et celles d’accueil du public.
A Dijon, les contraintes sont telles que les gendarmes doivent suivre des règles strictes, comme ne pas lever les volets avant 7 heures du matin et ne pas les abaisser après 22 heures, limitant même l’utilisation des toilettes pendant certaines heures.
Les casernes sur le plateau de Satory à Versailles, malgré la présence de l’élite de la gendarmerie comme le GIGN, font également partie de celles qui souffrent d’un manque de moyens. Cela affecte directement la vie des gendarmes et de leurs familles, et influence les mutations.

Le Pandore – Cela fait des années que l’on parle de ce manque criant d’entretien, même les directeurs généraux de l’Institution le savaient, et pourtant rien n’a été fait, comment l’expliquez-vous ?
Sénateur Bruno Belin – Le manque d’entretien des infrastructures de la Gendarmerie est un problème bien connu de longue date. Pourtant, les actions concrètes et suffisantes pour y remédier restent faibles, en raison de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, il y a une sous-dotation budgétaire chronique du parc immobilier de la Gendarmerie nationale, en particulier s’agissant de la maintenance. Entre 2014 et 2022, les besoins financiers annuels pour l’entretien et la rénovation étaient estimés à 300 millions d’euros, mais les crédits de paiement exécutés sont restés entre 39 et 123 millions d’euros par an. Cela signifie que les crédits immobiliers n’ont jamais atteint 50 % des besoins estimés, entraînant une « dette grise », c’est-à-dire un retard sur les investissements à engager, de 2,2 milliards d’euros sur une période de dix ans. Ce sous-investissement continu a conduit à la dégradation progressive des infrastructures.
Ensuite, il y a une responsabilité collective partagée par toutes les parties prenantes. Bien que la nécessité de réagir soit reconnue, les contraintes budgétaires et les priorités divergentes ont entravé la mise en place de mesures adéquates. Par exemple, les efforts légitimes de sécurisation des casernes, engagés après l’attentat de Magnanville en 2016, ne se sont pas traduits par une hausse structurelle du budget immobilier de la Gendarmerie. Or à enveloppe constante, il y a un risque que ces investissements de sécurisation se fassent au détriment des travaux d’entretien de ces bâtiments. De plus, la spécificité du parc immobilier de la Gendarmerie, où les militaires sont soumis à une obligation de logement en caserne afin de garantir leur efficacité opérationnelle, complexifie la situation. Les problèmes de logement des familles des gendarmes et l’obligation de disponibilité permanente créent des besoins uniques qui ne sont pas toujours bien compris ou pris en compte dans les politiques de financement.
Enfin, il y a eu un manque de financements innovants et de partenariats efficaces. Bien que certaines collectivités locales aient pris des initiatives pour améliorer la situation, l’ampleur du problème dépasse souvent leurs capacités financières. Des solutions comme la collaboration avec des institutions financières telles que la Caisse des dépôts et consignations n’ont pas été pleinement exploitées.

Le Pandore – Combien de bâtiments sont concernés par cette vétusté, et que représente financièrement une vraie remise en état ?
Sénateur Bruno Belin – Le parc domanial de la Gendarmerie, qui comprend 649 casernes appartenant à l’Etat, présente des signes alarmants de dégradation. Une analyse technique a révélé que l’état de ces bâtiments est souvent inférieur à la moyenne, avec une note globale de santé de 3 sur une échelle de 4, ce qui est significativement inférieur à celle des bâtiments loués par la Gendarmerie auprès des organismes HLM et des collectivités notamment.
Le coût financier pour remettre en état ces infrastructures est colossal. En se concentrant seulement sur les dix dernières années, il faudrait investir 2,2 milliards d’euros pour rattraper le retard accumulé. La Gendarmerie estime aujourd’hui qu’un investissement annuel de 400 millions d’euros est nécessaire pour le maintien et la réhabilitation de son parc immobilier.

Des membres de l’équipe.

Le Pandore – Vous proposez un certain nombre de mesures, de recommandations, dans votre rapport, quelles en sont les plus urgentes?
Sénateur Bruno Belin – Premièrement, nous proposons de recourir davantage aux marchés de partenariat, aussi connus sous le nom de partenariats public-privé (PPP). Cette approche permet de confier à des opérateurs privés la mission globale de conception, construction et maintenance des bâtiments. En amortissant cet investissement par le versement de loyers sur une période d’environ trente ans, la Gendarmerie peut ainsi étendre son parc immobilier malgré des marges financières limitées. Les projets prioritaires identifiés pour ce type de financement incluent notamment les opérations immobilières sur le plateau de Satory et à Dijon.
Deuxièmement, il est nécessaire de faire avancer les travaux de révision des coûts-plafonds des loyers versés par la Gendarmerie aux collectivités territoriales. La formule actuelle de fixation des loyers n’est plus adaptée aux coûts réels supportés par les collectivités, ce qui bloque certains projets de construction de casernes. Alors que notre pays a engagé un programme structurant d’ouverture de « 200 nouvelles brigades » que le Parlement a confirmé en votant la Lopmi (Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) en janvier 2023, il est impératif que « l’intendance suive » et que l’immobilier de la Gendarmerie se mette en mesure d’accueillir ces nouvelles brigades sur l’ensemble du territoire.
En plus des recommandations urgentes que nous avons mentionnées, nous proposons plusieurs autres mesures pour améliorer la situation des infrastructures de la Gendarmerie nationale :
Identifier les investissements prioritaires d’entretien : publier chaque année une liste des « points noirs immobiliers » pour cibler les urgences bâtimentaires et assurer un suivi transparent des actions entreprises.
Sécuriser une trajectoire triennale d’investissements afin de garantir une planification à moyen terme des investissements en maintenance et réhabilitation du parc domanial.
Expérimenter la création d’un gestionnaire immobilier indépendant : sur le périmètre du ministère de l’Intérieur, pour évaluer de manière approfondie cette nouvelle approche de gestion immobilière.
Adapter les critères de cofinancement des travaux de rénovation énergétique : s’assurer que ces critères correspondent aux spécificités du parc immobilier de la Gendarmerie pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments.
Mobiliser les marchés globaux de performance énergétique à paiement différé (MGPE-PD) : utiliser ces marchés pour accélérer les projets de rénovation énergétique et ainsi améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments de la Gendarmerie.
Je tiens également à ce que les gendarmes puissent voir concrètement le réengagement de l’Etat dans l’immobilier de la Gendarmerie. Et pour que ce réengagement soit visible par les gendarmes et par leur famille, il faut que soit mis en place un exercice annuel qui permet de traiter rapidement les urgences avec un budget dédié et un contrôle transparent. C’est aussi notre rôle de parlementaire de contrôler l’action du gouvernement et je veux pouvoir vérifier d’abord que l’Etat s’engage à améliorer les conditions de vie des gendarmes et de leur famille, et ensuite que ces engagements ont des effets concrets pour nos forces de l’ordre.
De plus, un bilan régulier aide à élaborer une trajectoire triennale d’investissements, essentielle pour une gestion efficace des ressources et éviter les sous-investissements chroniques. Il permet également d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place et d’ajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus, favorisant une amélioration continue de la gestion immobilière.
En intervenant rapidement sur les bâtiments problématiques, on prévient une dégradation plus importante et des réparations plus coûteuses à l’avenir. Une maintenance proactive est toujours plus économique qu’une intervention réactive.

Le Pandore – La finalité de cet appel d’urgence n’est-elle pas de permettre aux gendarmes de remplir leurs missions plus efficacement car tout est lié ?
Sénateur Bruno Belin – Oui, absolument. La vétusté des bâtiments impacte directement l’efficacité opérationnelle de la Gendarmerie, affectant le moral des gendarmes et de leurs familles, ainsi que la qualité du service rendu au public. De plus, en améliorant l’état des infrastructures, on garantit des conditions de travail décentes et un environnement propice à l’accueil du public, notamment des victimes.

Le Pandore – Peut-on dire que cette situation dégradée est une affaire d’Etat aujourd’hui, une urgence nationale prioritaire ?
Sénateur Bruno Belin – Oui, il est justifié de considérer cette situation dégradée comme une priorité d’Etat et une urgence nationale. La dégradation des casernes affecte directement l’efficacité opérationnelle et le moral des gendarmes, ainsi que la qualité du service rendu au public. Pour nos citoyens, cela compromet un accueil approprié, et pour nos territoires, cela entraîne un turnover élevé et une difficulté à attirer de nouvelles recrues.

Article disponible sur le journal Le Pandore et la Gendarmerie n°42

Rédigé par pandore

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