Le Conseil d’État a tranché en faveur de la légalité de la cellule de gendarmerie Déméter, dédiée à la lutte contre les infractions dans le secteur agricole. Créée en 2019 dans le cadre d’une convention entre le ministère de l’Intérieur, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), et les Jeunes Agriculteurs, cette cellule vise à prévenir les actions criminelles comme le vol de matériel agricole et les dégradations de biens, mais aussi à surveiller les actions « de nature idéologique » en lien avec des causes écologistes, animalistes et antispécistes. Ces missions incluent notamment le recueil d’informations pour anticiper les actions militantes, qu’elles soient symboliques ou plus percutantes.
Contestation de certaines associations
La décision du Conseil d’État intervient après des contestations menées par plusieurs associations environnementales et de défense des animaux, notamment L214, Générations Futures et Pollinis. Ces organisations ont dénoncé cette validation en soulignant un « contexte de répression » croissante envers les lanceurs d’alerte et les associations militantes. Elles reprochent à Déméter de viser des actions pacifiques et légales, considérant que la surveillance des actions militantes représente une atteinte aux libertés d’expression et de manifestation. Dès sa création, Déméter a été critiquée pour ses relations privilégiées avec la FNSEA et pour la nature même de ses missions, jugées contraires aux principes de neutralité de la police.En 2022, le tribunal administratif de Paris avait partiellement statué en faveur de L214 en déclarant que la surveillance des actions idéologiques par Déméter dépassait le cadre légal des fonctions de la gendarmerie. Toutefois, cette décision a été contestée en appel par le ministère de l’Intérieur, qui arguait que les prérogatives de Déméter étaient légitimes dans la mesure où elles contribuaient à la prévention des troubles à l’ordre public et à la sécurité des biens et des personnes. En 2023, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris a renvoyé le dossier au Conseil d’État, estimant que seule cette instance était compétente pour statuer sur la validité de la cellule Déméter en tant qu’acte d’organisation du service de la gendarmerie, un pouvoir relevant du ministre de l’Intérieur.
Autorité légitime
Dans sa décision finale, le Conseil d’État a ainsi jugé que les missions assignées à la cellule Déméter, y compris le recueil d’informations sur les mouvements écologistes et antispécistes, étaient conformes à la législation en vigueur. Selon la haute juridiction, le ministre de l’Intérieur dispose d’une autorité légitime pour confier à la gendarmerie la surveillance d’actions pouvant menacer l’ordre public, même lorsqu’elles relèvent de motifs idéologiques. Cette mission de recueil d’informations ne constitue pas une atteinte aux droits des organisations environnementales et animalistes, pourvu qu’elle reste strictement dans le cadre de la prévention des infractions.
Le Conseil d’État a également réfuté les arguments des associations selon lesquels Déméter agirait en faveur des syndicats agricoles signataires de la convention, comme la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. Selon la décision, les relations de la cellule avec ces syndicats ne doivent pas être interprétées comme un biais ou un favoritisme en faveur des orientations de ces groupes. Le Conseil a souligné que la gendarmerie est libre d’échanger avec d’autres organisations agricoles, qu’elles soient syndiquées ou non, et que ces échanges n’impliquent pas une délégation de pouvoirs publics aux syndicats agricoles.
En conséquence, la cellule Déméter pourra poursuivre ses activités dans le cadre fixé par le Conseil d’État, incluant à la fois la lutte contre les crimes dans le secteur agricole et le suivi d’actions idéologiques susceptibles de troubler l’ordre public. Cependant, le Conseil a tenu à rappeler que les missions de Déméter ne doivent en aucun cas viser à intimider ou dissuader les citoyens d’exprimer leurs opinions ou de partager leurs convictions.La décision du Conseil d’État représente une victoire pour le ministère de l’Intérieur et les acteurs du monde agricole, tout en soulignant la nécessité pour les autorités de garantir que les actions de Déméter demeurent dans un cadre de légalité stricte et de proportionnalité. Les associations concernées, pour leur part, ont signalé leur intention de poursuivre leur mobilisation pour défendre les libertés d’expression et de manifester face à ce qu’elles perçoivent comme une répression accrue du militantisme écologique et animaliste en France.