En exclusivité pour « Le Figaro », le nouveau directeur de la Gendarmerie nationale dévoile son ambitieuse feuille de route. Par Christophe Cornevin.
Ce jeudi matin, devant un parterre de plus de 200 hauts responsables réunis en séminaire à Issy-les-Moulineaux, le nouveau directeur général doit dévoiler, en présence de Christophe Castaner et de Laurent Nuñez, sa feuille de route pour les années à venir. Dans un entretien exclusif au Figaro, il en révèle les contours.
Le Figaro – Vous héritez d’une institution soumise à très forte pression, en raison des manifestations notamment, et qui semble sur le fil du rasoir. Comment lui redonner de l’oxygène ?
Christian Rodriguez – Il faut traquer certaines charges qui pèsent sur le gendarme et qui ne sont pas essentielles au bon fonctionnement du service public. Bannissons les formulaires de pure administration. Il en reste! Pour gagner en efficacité, il faut en outre s’inspirer des bonnes pratiques. Ainsi, des brigades ont mis en place des pools d’intervention de nuit plus mobiles et moins consommateurs en effectifs.
Dans le même esprit, notre nouveau logiciel de procédure va éviter les doubles saisies. Il s’agit de simplifier le travail partout où l’on peut pour dégager de la marge de manœuvre et mettre un maximum de gendarmes sur le terrain, ce qui est leur vocation première. Notre philosophie pourrait se résumer en une formule: «Pour la population, par le gendarme.» Pour cela, nous avons besoin d’effectifs sereins, fiers de leur métier et qui aient la confiance du public.
Le Figaro – La société est devenue incandescente et le maintien de l’ordre difficile : allez-vous enfin changer la flotte de vos blindés, qui sont à bout de souffle ?
C. R. – Il est vrai que ces engins sont sortis dans les années 1970, en même temps que la Renault 12! Certes anciens, ils ont cependant démontré tout leur intérêt en situations dégradées, notamment pour dégager les barricades tout en se mettant à l’abri des coups.
Dans les années qui viennent, l’idée est de renouveler les 84 engins du parc. Il n’est pas exclu que l’on commence par remettre à niveau une partie des véhicules pour environ 300.000 € l’unité, et dans le même temps prévoir un renouvellement à neuf dès que possible.
Globalement, nous avons déployé des dispositifs plus mobiles, plus adaptables qui ont donné des résultats. Nos gendarmes ont appris à reprendre l’initiative.
Le Figaro – Les missions parlementaires, au Sénat et à l’Assemblée nationale, s’enchaînent et tirent toutes le signal d’alarme sur le plan matériel. Quel est l’état des lieux ?
C. R. – Nous disposons au total de 30.000 véhicules, d’une moyenne d’âge de 7 ans. En 2019, nous en aurons racheté 2500 pour maintenir à niveau la flotte. Rappelons qu’un gendarme sans voiture ne peut travailler, car sa mission est de couvrir 95 % du territoire.
Mais, ceci dit, nous avons un devoir d’inventaire. Notre maillage impose que chaque unité dispose entièrement de tous ses véhicules, mais dans nos structures des grandes villes, nous pouvons inventer d’autres modes de transport!
À la Garde Républicaine, de vieux bus transportaient les gendarmes sur leur lieu de prise de service, dans les palais nationaux. Depuis quelques semaines, on expérimente une externalisation avec la RATP, qui véhicule nos gardes sur les sites avec des bus électriques qui ont un impact évident sur l’environnement.
Par ailleurs, comme cela se pratique à l’étranger, nous étudions la possibilité de louer des véhicules en prenant en compte leur maintien en condition opérationnelle. C’est une forme de leasing qui, là encore, pourrait nous offrir de la marge de manœuvre et, à terme, renouveler notre parc dans de conditions satisfaisantes.
Le Figaro – Vous avez d’autres pistes ?
C. R. – Oui, nous avons saisi 1100 véhicules en parfait état de marche. Confisqués dans le cadre d’enquêtes judiciaires, souvent après de grands excès de vitesse, ils servent désormais au sein des unités. Pourquoi ne pas en saisir davantage auprès des trafiquants?
Le Figaro – Sur le plan immobilier, les brigades et des casernes méritent aussi une remise à neuf.
C. R. – Chaque année, une centaine de millions d’euros sont débloqués pour réhabiliter certains «points noirs» recensés, en particulier dans notre parc domanial, où se trouvent nos grandes casernes. Cela a permis de rénover des sites à Nantes ou à Saint-Étienne.
Tous les ans, nous remettons à neuf des milliers de logements, sachant qu’une partie de l’enveloppe permet de sécuriser nos casernes ciblées lors de manifestations comme à Dijon.
Mais, là encore, il y a un modèle à réinventer. Des parlementaires réfléchissent à la création d’une foncière permettant à l’État d’engager des travaux en profitant des faibles taux immobiliers.
Le Figaro – Votre prédécesseur avait créé les brigades de contact pour renouer le lien avec la population. Allez-vous poursuivre dans ce sens ?
C. R. – Oui, car les élus se félicitent de voir revenir les gendarmes, mais on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Grâce à sa tablette Néo qui lui donne accès à tous les fichiers en mobilité, le gendarme n’a parfois plus besoin de locaux de service.
Sur la base de notre indispensable maillage territorial de 3100 brigades, qui est le cœur d’une sécurité proche de la population, nous pouvons revoir un cahier des charges plus «optimisé» de nos infrastructures en regroupant telle ou telle fonction, les cellules de garde à vue ou les bureaux d’investigations judiciaires, par exemple.
Grâce aux technologies, le gendarme incarne la brigade là où il se trouve. Par ailleurs, nous réfléchissons à solliciter davantage les anciens policiers et gendarmes devenus réservistes sur des affaires «simples», comme des dégradations légères ou des délits mineurs. Éventuellement armés, comme cela se fait en Suisse, ces retraités rompus au régalien pourraient intervenir et rassurer, le temps que la brigade achève la mission sur laquelle elle est engagée à 30 kilomètres de là.
Un tiers de nos 30.000 réservistes sont d’anciens gendarmes. Ce vivier est immédiatement employable pour un coût modique, au regard de ce qu’il peut apporter. La moyenne de l’engagement de nos réservistes est de 26 jours par an. Certains sont disponibles au-delà. Ils optimiseraient aussi la présence de la gendarmerie la nuit en faisant un travail de proximité, notamment sur les cambriolages…
Le Figaro – Vous allez aussi miser sur l’intelligence artificielle ?
C. R. – Oui, car j’y crois beaucoup. Nous engageons de gros efforts de recherche avec les entreprises et les universités pour déployer des outils d’aide à la décision fondés sur des algorithmes.
Depuis un an, nous en avons expérimenté un qui permet d’anticiper les lieux de commission de cambriolages. Sur les onze départements tests, ces derniers ont globalement baissé.
Fort de cette expérience, nous forgeons un algorithme inédit qui va prendre en compte toutes les situations appelant une intervention des gendarmes, de l’accident de la route à l’ensemble des crimes et délits.
Nos experts en intelligence artificielle croisent aussi ces informations avec les spécificités de chaque écosystème local, avec ses gares, ses cafés et ses lieux de passage. Les données, horodatées à la minute près, seront plus viables et les résultats nécessairement meilleurs.
En patrouille, le gendarme lira sur sa tablette la carte de sa circonscription avec les points rouges alertant des risques et d’une potentielle intervention. Nos «data scientists» construisent un modèle très précis, avec une granularité allant jusqu’à la rue.
Cet algorithme pourrait être mis en œuvre dès le second semestre 2020. L’intelligence artificielle est au service du gendarme: elle est là pour l’aider. Mais, au final, lui seul doit prendre la bonne décision, au bon moment, au plus près de la population qu’il protège.
Le Figaro – Face à un monde plus complexe, le métier de gendarme évolue. Quels profils recherchez-vous ?
C. R. – Avec l’émergence de la preuve numérique, nous allons avoir besoin de plus en plus de sous-officiers qui sachent décortiquer un disque dur ou un téléphone. Nous allons aussi recruter davantage de cyber-enquêteurs. Très prochainement, la gendarmerie en comptera 7000, soit 10 % des effectifs départementaux. Il s’agit d’élever la culture numérique afin que tous nos enquêteurs soient familiarisés à ces questions.
Source et photo : « Le Figaro ».