Un an et demi après le drame qui a coûté la vie à Thomas, 16 ans, à Crépol (Drôme), l’affaire connaît un tournant majeur. La révélation d’un procès-verbal (PV) rédigé cinq jours après les faits par une adjudante de gendarmerie bouleverse les perspectives de l’enquête. Exhumé par les auteurs du livre Une nuit en France, ce document suggère l’hypothèse d’un crime à caractère raciste anti-blanc, peu évoqué dans les débats judiciaires et médiatiques.
Ce PV, intitulé Éléments constitutifs de circonstances aggravantes, se base sur une dizaine de témoignages recueillis durant l’enquête. Plusieurs témoins affirment avoir entendu des propos racistes à l’encontre des victimes, émanant des agresseurs au moment de l’altercation. L’un des éléments troublants réside dans le fait que ce document a été relégué dans les notifications de garde à vue, un endroit rarement consulté, laissant planer le doute sur une mise à l’écart délibérée.
Un haut gradé de la gendarmerie, ayant activement participé à l’enquête, a confirmé l’existence et la véracité du PV lors d’un entretien accordé à Marianne. Selon lui, l’adjudante s’est appuyée uniquement sur des déclarations objectives, et il déplore que l’on ait pu écarter ces informations. Pour lui, ignorer de tels témoignages revient à nier une part essentielle de la vérité : « Soit on ferme les yeux et on se bouche le nez, soit on prend en compte ces témoignages. »
La famille de la victime bouleversée
Face à cette révélation, la famille de Thomas, par la voix de leur avocat Me Alexandre Farelly, s’est dite « bouleversée » par la parution du livre. Ils dénoncent un récit jugé partial et irrespectueux, pointant du doigt « de nombreux passages très gênants » et une tentative de « réécriture » d’un drame encore en cours d’instruction. Les auteurs, Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, sont accusés de banaliser la violence, le port d’armes, et de « victimiser » les mis en cause. Le timing de la publication est également remis en cause : pour la famille, « le temps n’est pas celui des livres, mais celui de la justice ».
Le livre suscite des critiques virulentes. La présidente de l’association des victimes du bal de Crépol parle même d’une « manipulation de l’opinion publique ». Les journalistes, qui ont enchaîné les interviews, réfutent la thèse d’une agression préméditée à caractère raciste, déclarant notamment : « Ils ne sont pas venus à Crépol au bal avec des couteaux pour agresser des gens, ils sont venus et ils avaient des couteaux, c’est différent. » Des propos qui ont suscité l’indignation de nombreuses familles impliquées.
Depuis novembre 2023, plus de 350 auditions ont été menées, 14 personnes ont été mises en examen – dont trois mineurs – et des heures de vidéos ainsi que de multiples expertises ADN ont été analysées. Pourtant, la justice n’est toujours pas en mesure de désigner l’auteur du coup mortel ni de confirmer le mobile exact de l’agression.
Ce nouveau rebondissement remet au cœur du débat la question du traitement judiciaire des crimes à caractère racial et les tensions identitaires qui traversent la société française. Il illustre aussi le difficile équilibre entre le respect du temps judiciaire, la liberté d’enquête journalistique, et la douleur des proches des victimes.
Article: Jean-Claude Seguin