C’est un groupe de personnes très déterminées qui nous attendait au pied du tribunal de Créteil (TGI), pour nous informer de leurs démarches et nombreuses interpellations des pouvoirs publics, par des courriers adressés aux ministères de la Justice et de l’Intérieur. A ce jour, toutes sont restées lettre morte. Pourtant, le sujet en question, et les rapports alarmants qui ont été produits et portés à la connaissance de ces édiles, sont accablants. Depuis plus de 20 ans, l’amiante, dans des quantités absolument dramatiques, contamine en silence les personnels travaillant sur le site du TGI de Créteil.
Présents à ce rassemblement, le secrétaire général de l’UNSA services judiciaires, Hervé BONGLET, accompagné de Brigitte BERCHER, secrétaire nationale UNSA-Justice et le docteur Claude DANGLOT, médecin biologiste et ingénieur hydrologue, en qualité d’expert médical. Enfin, Daniel NAUDIN, membre du conseil général du Val-de- Marne, alertant depuis de nombreuses années tous les acteurs concernés par les problématiques que rencontre le TGI de Créteil. Premier à prendre la parole, Daniel NAUDIN explique que, si le problème de l’amiante dans ce bâtiment est connu depuis 1997, le problème est bien antérieur, puisque la mise en service du tribunal date d’avril 1977. Même si, à l’époque, les normes étaient respectées pour la construction, et que l’amiante n’était pas encore reconnu comme dangereux, aujourd’hui ce n’est plus le cas. « Il est connu de tous que l’amiante, c’est tout simplement une bombe à retardement à laquelle s’expose les intervenants, le personnel du tribunal, mais également toutes les personnes qui, pour diverses raisons, viennent fréquenter ce lieu, y compris la population civile ».
Daniel NAUDIN a alerté, depuis fort longtemps, les instances responsables de cette situation, notamment le ministère de la Santé, qui lui aurait répondu de se rapprocher des ministères de la Justice et de l’Intérieur, pour voir ce qu’il convenait de faire. A ce jour, rien n’a été entrepris, notamment pour encapsuler l’amiante par des travaux d’urgence (méthode permettant d’éviter la propagation de l’amiante par la pose d’un vernis par exemple) et aucune démarche n’a été entreprise afin d’avertir les personnels sur place ! Les ministères alertés n’ont fourni aucune réponse aux courriers qui leur ont été adressés. Il ajoute enfin que le préfet ne peut pas mettre en place un CHS interministériel (comité d’hygiène et sécurité), afin de permettre de travailler à la résolution de ce qui risquerait de devenir un drame sanitaire à l’avenir.
Hervé BONGLET intervient à son tour : « Le droit de retrait, que peut exercer chaque employé du tribunal, est une menace pour le bon fonctionnement de celui-ci. Simplement, cette menace s’éloigne sitôt que le personnel n’a pas l’information, puisque c’est un droit de retrait qui ne peut s’appliquer qu’individuellement, personne par personne. Il y va pourtant de la santé de tous, et les responsables jouent avec cette santé en maintenant les non-dits et en faisant la sourde oreille ».
Il nous rapporte que l’objet de ce rassemblement a pour but d’informer les employés, mais aussi de mettre en garde la direction des services judiciaires de cette possibilité, qui a déjà été mise en place sur le tribunal de Cayenne, par exemple. Le but est tout simplement que le tribunal de Créteil soit cité comme prioritaire, sur tout autre pour les travaux à réaliser, dans le projet de loi de programmation des budgets de 2019 à l’Assemblée nationale, puis au Sénat.
Des travaux oubliés ?
Il ajoute qu’il est conscient que des travaux d’une telle envergure (estimés à 400 M€) peuvent s’étaler sur la durée du quinquennat sans problème, et qu’il faudra sûrement ce délai-là pour les réaliser dans de bonnes conditions. Il insiste sur le fait que d’autres tribunaux ont bénéficié de budgets, les années précédentes, pour réaliser des travaux, et que celui de Créteil reste « l’oublié » de la justice depuis 1997, date à laquelle les premiers constats sont réalisés par les agents d’entretien du TGI. Daniel NAUDIN explique qu’un de ces derniers, convoqué à la suite de cette annonce, s’est vu conseiller sèchement, en des termes « cordiaux » : « Tu vas fermer ta gueule ! ».
Sujet sensible dites-vous ? Le malheureux, M. Julien De Flores, sera, trois ans plus tard, atteint d’une maladie très grave, liée à l’amiante (asbestose), et reconnu très atteint à la suite d’examens, avec, à l’époque, une incapacité de 60 % de sa capacité pulmonaire. Le docteur Claude DANGLOT explique alors, que le taux accepté pour la norme est de 5 microfibres par litre, mais que certains endroits dans le bâtiment enregistrent un taux de 100 microfibres par litre. L’amiante est 400 fois plus fin qu’un cheveu. C’est une poussière naturelle, issue de la roche, qui s’envole au moindre coup de vent. Autrement dit, pour lui, tout le tribunal est infesté par cette poussière mortelle. Et il termine par cette phrase, qui claque à nos oreilles : « Cette norme de 5 microfibres par litre, ne veut rien dire car il suffit d’une fibre pour avoir des conséquences irrémédiables sur la santé ».
Et les gendarmes dans tout ça ?
Brigitte BERCHER signale alors que, selon les estimations, 3 000 personnels seraient concernés, sans parler du passage du public dans le tribunal, et que cette estimation est encore bien en deçà de la réalité, car elle ne dispose d’aucune statistique concernant les gendarmes qui accompagnaient les détenus au tribunal, entre avril 1977 et l’an 2000. Les gendarmes patientaient à côté de l’amiante même, dans des locaux abîmés, comme les cellules attenantes à la salle d’audience, ou encore la salle des scellés et la salle de surveillance, dégradées et infestées d’amiante à nu.
Daniel NAUDIN exhibe une photo où l’on voit l’amiante à l’état brut, sur un mur particulièrement abimé et à l’air libre, en expliquant que des gendarmes attendaient là, des heures durant, que les prévenus passent en jugement. La photo est glaçante quand on connait les risques liés à l’amiante. Brigitte BRECHER reprend alors la parole pour indiquer que la DGGN (direction générale de la Gendarmerie nationale) a reçu un courrier à ce sujet, il y a trois ans (le général Denis FAVIER commandait l’institution). Une lettre identique a été adressée à l’actuel directeur, le général LIZUREY. A noter que ces lettres sont également restées sans réponse, à ce jour.
Toutefois, il s’agit de pondérer. Si l’information a bien été communiquée, elle doit faire l’objet d’une étude approfondie. Il est évidemment complexe de déterminer quels sont les personnels de la gendarmerie ayant fréquenté le TGI, pour motifs professionnels, sur une période aussi longue (près de 21 ans après la déclaration de l’interdiction de l’amiante, mais 41 ans si on tient compte de la date de construction du tribunal). Cela ne justifie pas l’inaction ou le silence, car on peut estimer raisonnablement qu’après trois ans, une réponse aurait pu être envisageable.
En effet, un personnel informé pourrait se voir doté d’une « fiche d’exposition à l’amiante ». Un document obligatoire que doit fournir l’administration quand l’exposition est avérée, et délivrée à toute personne qui en fait la demande. Le docteur Claude DANGLOT va plus loin, en indiquant que le dernier employeur est responsable devant la justice, en cas de problème, et qu’il appartient à chacun de réclamer cette fiche.
Il évoque surtout, le « facteur temps » dans les affections dues aux maladies que provoque l’amiante, de 25 à 40 ans. Un nombre important de gendarmes pourraient ainsi bien être déjà retraités. C’est pourquoi, il faut se faire tout de même connaitre, car, pour toute personne affectée, il deviendrait bien plus complexe de se faire indemniser, le malade n’ayant pas pu prouver le contact avec le lieu.
De quoi nourrir des regrets, de ne pas se faire connaitre, pour toute personne exposée.
Sachez enfin qu’il existe une persistance du risque, toute la vie durant. Claude DANGLOT reconnait d’ailleurs qu’on ne connait pas toutes les maladies et cancers que peut provoquer l’exposition à l’amiante. Certains font actuellement l’objet d’étude, car on soupçonne que l’amiante en soit la cause.
Rappelons qu’en 2015, un gendarme, qui enquêtait sur les méfaits de l’amiante, est tombé malade (il a développé un épaississement de la plèvre). Il a finalement obtenu une indemnisation du FIVA – fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – de 27 000 €.
Selon un rapport du Sénat, l’amiante, interdit en 1997, pourrait causer la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025.
© Le Pandore et la Gendarmerie
Crédit photo facebook- UNSA Services Judiciaires ,leparisien.fr