Choquée par la façon dont Virginie Despentes fustige la police dans sa tribune sur les Césars, la policière et syndicaliste Linda Kebbab lui répond.
Dans sa désormais fameuse tribune publiée le 1er mars dans Libération, l’écrivaine Virginie Despentes s’en prend – par incises – aux forces de l’ordre, qu’elle accuse tour à tour d' »exactions » au service des puissants et de violences en banlieue – « Ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police », écrit-elle ainsi à propos de l’équipe des Misérables montée sur scène. Déléguée syndicale de Unité SGP – Police, (majoritaire chez les gardiens de la paix).
Linda Kebbab a souhaité lui répondre.
« Votre tribune, Virginie Despentes, n’est pas courageuse. Vous auriez pu régler vos comptes avec l’académie des Césars après que votre parrainage à la soirée des révélations de janvier a été refusé. Au lieu de quoi, vous vous êtes tue, en connaissance des 12 nominations de Roman Polanski et de son film, pour attendre le tollé général. Malin. Votre dénonciation du 49.3, contre lequel nous, syndicalistes acharnés, sommes désarmés, est presque pertinente.
Mais, en vous en prenant aux policiers, prolétaires improductifs, qui font les frais de votre rhétorique professionnelle sans avoir les moyens de répondre, vous vous égarez. Parce qu’ils ne bénéficient pas de votre audience, mais, surtout, parce qu’ils sont une cible facile en cette période de dénigrement de la police.
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Il m’a lancé : ‘Tu gardes ça pour toi ?’
Les policiers, engagés mais aussi démunis que les travailleurs sociaux, les professeurs et les soignants, reçoivent les déclarations de victimes, leur donnent avec un courage monstre une existence judiciaire sans savoir quel sort leur réservera le rouleau du système, quand vous, Madame Despentes et vos semblables littéraires ou cinématographiques, regardez ailleurs depuis toujours, le ventre au sol face aux riches phallocrates avec lesquels vous déclarez dîner.
Votre litanie, Madame Despentes, m’a rappelé une scène dont j’ai été témoin malgré moi quand j’étais déléguée auprès de la brigade des mineurs du Val-de-Marne, il y a quelques années. J’y ai vu un collègue, dans les toilettes d’une aile inoccupée de l’hôtel de police, vidant ses tripes du dégoût d’avoir retranscrit le récit d’un enfant racontant ‘cette bite tachée de sang et de merde’.
Surpris de me trouver dans ces lieux habituellement déserts, il m’a lancé : ‘Tu gardes ça pour toi ?’ Il était effrayé de cet aveu vomitif qu’il croyait de faiblesse, alors que ces larmes étaient une force que vous n’aurez jamais.
Vous laissez entendre que Ladj Ly est une victime de la police sans connaître ni ses méfaits ni ses dettes, hors ceux que les fantasmes du 7e art ont inventés, et digressez éhontément sur le sujet de la pédocriminalité.
Vous affichez un mépris supplémentaire des victimes en vous servant de leur sort comme d’une cathèdre pour prêcher votre idéologie auprès d’un lectorat conquis d’avance.
Vous osez, malgré votre connaissance de son mépris pour les femmes. Avez-vous pensé à cette femme agressée en pleine grossesse par une horde à cause d’une vidéo de votre nouveau protégé sur laquelle son conjoint de flic était totalement et injustement reconnaissable ?
Les flics, eux, ne débattent pas sur Polanski
Virginie Despentes, par votre haine du flic, vous ratez le coche de la crédibilité. Ecrire ‘puissants’ plutôt que nommer les violeurs, que le cinéma et la littérature ne dénoncent toujours pas, c’est stérile. Les flics, eux, ne débattent pas sur Polanski.
Chez nous, notre morale et la loi que vous conchiez ne laissent place à aucun débat. Les policiers que vous fustigez ne séparent pas l’homme de l’artiste. Aucun d’entre eux ne suivrait ‘jusqu’à la guillotine’ un criminel, et aucun ne le lyncherait comme vous le faites – prudemment, après tout le monde.
Leur indignité n’est pas sélective, elle est inconditionnelle. Dans un texte écrit pour Les Inrocks paru le 17 janvier 2015, vous affichiez votre indifférence au sort des faibles en érigeant les frères Kouachi en héros qui refusent de ‘vivre à genoux’.
Ne vous en déplaise, les véritables héros de ce jour-là sont morts des balles de ceux dont vous ‘aimez’ qu’ils aient ‘fait lever les victimes avant de les viser au visage’ au point d’y voir ‘une déclaration d’amour maladroite’ que vous excusiez dans une verve indécente.
Nos héros à nous, flics, sont morts pour sauver votre droit et votre liberté de les insulter.
Pourquoi, Virginie Despentes, ne saisissez-vous pas la libération de la parole, faute d’en avoir été l’instigatrice, pour nous révéler ceux qui dans votre milieu assaillent femmes et enfants ?
Ses années d’appartenance au Goncourt ne vous permettent-elles pas désormais de vous affranchir de la peur de la débutante ? Quand on n’a plus rien à prouver au monde de l’édition, qu’on est reconnue et adulée, il n’y a pas de courage à publier une tribune qui ne révèle rien d’un monde dont tant de femmes dénoncent déjà l’agressivité sexuelle.
Il faut déclarer, déposer, témoigner. Etre courageuse, c’est aider ces jeunes auteures, comédiennes, éditrices précaires qui comptent sur les membres du ‘sérail’ pour être protégées d’un milieu qui a intégré les codes de l’omerta. Nous, policiers, ne demandons qu’à ce qu’elle soit brisée. Grâce à ceux qui se lèveront, non pas pour ‘se casser’ mais pour oser l’ouvrir .
«Des ‘puissants’, vous en êtes»
Allez, dénoncez, soyez brave, donnez-nous les noms que votre milieu tait, attendant que les auteurs aient 80 ans pour faire semblant de leur en vouloir. Votre monde sait mais personne ne parle alors que la porosité entre fiction narrative et réalité est avérée, que les victimes sont nombreuses et les prédateurs, tout autant.
Vous avez quitté le statut précaire d’écrivaine exposée pour faire partie de ceux qui jugent et attribuent des prix, vous auriez du mérite en dénonçant pour protéger. Vous ne signez pas les chèques, Virginie Despentes, mais vous qui avez été membre du jury de l’académie Goncourt, qui êtes auteure à succès, réalisatrice… Des ‘puissants’, vous en êtes. Seulement, vous avez pris le parti de vous servir de votre audience et du malheur de ces gosses pour affliger, asséner une attaque inopportune contre les seuls qui les protègent. Les flics.»
Linda Kebbab, policière, déléguée nationale du syndicat UNITÉ SGP POLICE-FO
Source commune : Unité SGP Police-FO
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