Cette sixième journée d’audience au tribunal correctionnel de Narbonne a été marquée par les témoignages poignants des gendarmes et de l’ex-commissaire de police de Narbonne. Tous sont revenus sur les violences, « exceptionnelles », qui ont émaillé la journée du 1er décembre et la nuit qui a suivi.
Après une semaine consacrée aux auditions des prévenus, la parole a été donnée, aux gendarmes du peloton d’autoroute et du Psig de Narbonne, parties civiles dans ce procès, ainsi qu’à l’ex-commissaire de police de Narbonne.
Tous se souviennent d’une journée du 1er décembre particulièrement tendue entre manifestants et forces de l’ordre, à Narbonne comme à Carcassonne, à l’image des débordements observés à Paris le même jour. « Le 1er, ils (les Gilets jaunes, (NDLR) n’étaient plus ouverts à la discussion. On a bien senti que ce n’était pas comme d’habitude. […] Dès le matin, nous avons eu du mal à effectuer nos missions », a indiqué à la barre le lieutenant Soual, responsable du peloton d’autoroute. « Il y a eu une dégradation du mouvement dès le début d’après-midi avec l’attaque de la sous-préfecture et des échauffourées à la trésorerie. […] Un manifestant a arraché le rétroviseur de notre véhicule et l’a jeté sur le pare-brise », a ajouté le numéro deux de la compagnie de gendarmerie de Narbonne, le capitaine Vasseur.
Vers 17 heures, les Gilets jaunes décident de monter vers Croix-sud pour passer la soirée sur le péage. Un premier incendie est constaté au niveau de la barrière vers 21 heures et des effectifs sont appelés en renfort. Un demi-escadron de gendarmerie mobile d’Hyères est dérouté de son objectif (le Boulou) et se rend à Narbonne pour protéger les pompiers durant leur intervention. « Ils arrivent et ils sont immédiatement pris à partie », se souvient Guillaume Soual.
L’ex-commissaire de police, Anissa Jalade, arrive vers 21h30, d’après ses déclarations. Elle prend le commandement des opérations de maintien de l’ordre en sa qualité d’autorité civile présente sur les lieux. C’est elle qui procédera aux multiples sommations en direction des manifestants hostiles.
« En face de moi, ils étaient très excités. Ça commençait à remonter les cache-nez, ils avaient des cagoules et des sacs à dos et je vois qu’ils commencent à avancer. […] Très vite, je me rends compte que les assaillants ramassent les lacrymos et nous les lancent dessus. Je me rends compte qu’on ne pourra pas tenir très longtemps… », a-t-elle témoigné à la barre.
Et de continuer : » Je prends la décision d’utiliser les grenades explosives pour nous donner du souffle, pour pouvoir décrocher en me disant que sinon, on va tous mourir. […] À ce moment, on est effectivement débordé par l’émeute. »
L’évacuation du peloton d’autoroute et des employés de Vinci est alors décidée, en lien avec la préfecture de l’Aude. Les agents du Psig de Narbonne sont positionnés pour contenir les débordements et procèdent à des tirs de LBD et grenades de désencerclement, pendant que les militaires remplissent les véhicules de matériels sensibles.
Du côté des forces de l’ordre, tous les témoins décrivent « une pluie incessante de cailloux » tombant sur le toit de la gendarmerie. « J’ai été rappelé vers 23 heures pour évacuer le peloton d’autoroute. Evacuer, ce n’est pas un terme que l’on a l’habitude d’entendre, frissonne encore le sous-officier Garcia devant le tribunal. Il fallait se dépêcher, se protéger, prendre uniquement le matériel nécessaire. »
« On avait compris qu’il fallait partir. Je savais qu’il y avait des cocktails molotov en préparation, j’en avais vu un. S’il rentrait dans la gendarmerie, on était mort », s’est aussi rappelé le gendarme Gabriel Ripoll. « Quand l’escadron se retire, il y a un redoublement de la violence. Ils se rapprochent en meute avec les cris ‘‘on va tous vous crever’’[…], a analysé le colonel Marc Gonnet, commandant du groupement de gendarmerie de l’Aude. Les gendarmes n’ont pas de protection individuelle, pas d’armement adapté… »
« Ils étaient très déterminés, incontrôlables, dans un état second, un état de démence comme sous l’effet de stupéfiants. Plein de fougue, ils pensaient pouvoir soulever des montagnes », a décrit le commandant du Psig, le major Karotsch.
« C’était l’insurrection »
« C’est le scénario catastrophe », comme l’a qualifié Anissa Jalade. « Une insurrection », a précisé l’ancienne commissaire de la circonscription lors de son audition. L’évacuation se déroule tant bien que mal, sans que de graves blessures n’adviennent, mais elle ne laissera pas « indemnes » les militaires et les policiers.
Aujourd’hui encore, tous évoquent un moment qui marqué au fer rouge leur carrière. « Il y a eu un avant et un après, relate le sous-officier Garcia, du peloton d’autoroute. On ne travaille plus comme avant. On se méfie plus, on fait le tour des locaux, on surveille. Ça nous a changés. »
« J’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil pendant une quinzaine de jours. J’étais atteint moralement, je ressentais de la colère et de la honte d’être parti », a confirmé le gendarme chargé d’accueil au peloton le 1er décembre. « Pour un militaire, abandonner une position c’est quelque chose d’impensable, de dur à vivre « , a accentué le capitaine Vasseur.
« Nous ne sommes pas les seuls touchés, il y a aussi nos familles qui vivent dans une caserne de gendarmerie. »
Malgré leur profession, leur statut de représentant de l’État, ils n’ont pas hésité à avouer devant le tribunal la peur qui les a envahis le soir des faits et le traumatisme psychologique que l’émeute a provoqué chez eux.
« Ce n’est pas parce qu’on est policiers que l’on doit tolérer ces insultes, cette violence. On n’est pas des êtres désincarnés et ce n’est pas parce qu’on est touché qu’on est faible« , a lancé l’ex-commissaire.
« Nous ne sommes pas les seuls touchés, il y a aussi nos familles qui vivent dans une caserne de gendarmerie, a détaillé Jérôme Coussinoux, gendarme du Psig. D’une voix tremblante, il s’est remémoré un moment marquant de la soirée : Ce n’est pas normal que mon fils de 14 ans veuille venir avec moi devant la gendarmerie pour défendre la caserne. J’ai ressenti un mal-être parce que si on ne peut plus se protéger nous-même, qui va-t-on protéger ? »
Bien qu’aguerris, les militaires du Psig ont craint pour leur vie. La fin de la soirée dans la bouche de Sébastien Sobczak le résume : « On va suivre sur les réseaux sociaux la mise à sac en se demandant s’ils ne vont pas glisser vers la caserne. On était arrivé à un point de non-retour, une forme de peur pour nos familles. S’ils étaient venus, on n’aurait pas eu d’autres choix que d’utiliser nos armes de service. »
« Dégoût »
Après leur départ, les gendarmes du peloton d’autoroute se replient à la caserne de Montplaisir, située à seulement quelques kilomètres du lieu des exactions. Sur les réseaux sociaux, ils observent les manifestants parader dans leurs tenues de travail. «
J’ai ressenti un profond sentiment de dégoût, a déclaré à la barre le commandant Guillaume Soual. Ils n’ont pas hésité à piller, à vandaliser la gendarmerie et à se filmer dans nos uniformes. »
Et de s’adresser directement aux prévenus : « Je les entends depuis le début de l’audience dire qu’ils ont un profond respect pour les forces de l’ordre de leur pays mais je ne comprends pas comment c’est possible. Ils peuvent avoir des regrets, mais ce soir-là, ils savaient exactement ce qu’ils faisaient.«
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Source : L’Indépendant, par Philippe Leblanc
Photo : L’Indépendant.
Sur la photo : le lieutenant Soual, commandant du peloton d’autoroute.