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L’AFFAIRE GREGORY : UN BIEN TRISTE ANNIVERSAIRE

copyright Pandore et la Gendarmerie

Cela va en effet faire 40 ans, le 16 octobre 1984, que le corps du petit Grégory Villemin, âgé de 4 ans, était retrouvé ligoté dans un sac jeté dans la Vologne dans les Vosges. Quarante années plus tard, l’instruction est toujours en cours, ce qui en fait l’une des plus vieilles affaires criminelles françaises toujours non élucidée.

Le nouveau procureur général à la Cour d’appel de Dijon en charge du dossier, Philippe Astruc, veut « continuer à rechercher la vérité » a-t-il précisé. 

Une vérité que connaît le premier directeur d’enquête en charge de l’affaire au moment des faits, le capitaine Etienne Sesmat. Dans son dernier livre publié aujourd’hui, intitulé «  Les deux affaires Grégory, derniers pas vers la vérité », l’actuel colonel en retraite livre, dans cet ouvrage, son intime conviction sur ce meurtre resté irrésolu.

Il s’en explique en exclusivité à notre journal, le « Pandore et la Gendarmerie »

Etienne Sesmat

Le Pandore : La question peut paraître brutale, mais selon votre intime conviction, qui a tué le petit Grégory et pourquoi ?

Colonel Etienne Sesmat : Je répondrai avec prudence et modestie à cette question en disant qu’à mes yeux une analyse détaillée et objective des faits qui se sont déroulés le 16 octobre nous conduit à penser que c’est forcément la personne qui a enlevé Grégory, quelle qu’elle soit, qui l’a tué.

Le Pandore : Est-ce-que ce meurtre a été préparé à plusieurs ?

Colonel Etienne Sesmat : la thèse d’un crime commis par plusieurs personnes est intellectuellement attrayante parce qu’on sait parfaitement que l’enlèvement et le meurtre de Grégory s’inscrivent dans le prolongement des agissements des corbeaux durant les années précédentes. Et on sait que plusieurs corbeaux ont agi contre la famille Villemin et contre Jean-Marie, le père de Grégory, notamment lors de la période des appels téléphoniques. Ceci dit, cette idée me semble peu compatible avec le scénario du meurtre le 16 octobre qui est extrêmement particulier et qui constitue une des singularités de cette affaire. En effet, on ne peut que constater que l’enlèvement et le meurtre de Grégory se déroulent dans une grande précipitation, en suivant un plan précis, et dans un temps extrêmement court, jalonné par le besoin irrépressible de revendiquer le crime (deux fois, par lettre et par téléphone), en prenant de très grands risques et en laissant de nombreux indices. On voit que Grégory est jeté précipitamment dans la Vologne, dans un endroit peu discret, et son corps sera d’ailleurs retrouvé moins de 4 heures après sa disparition. Tout cela nous montre clairement qu’on est face à une fuite en avant meurtrière, à une pulsion incontrôlée qui soulève indubitablement la question du levier psychopathologique du crime. Enfin, il faut rappeler ou souligner deux choses : l’enlèvement est commis par opportunité, sans savoir ne serait-ce que dix minutes avant qu’il allait être réalisable, parce qu’il se trouve que Grégory est dehors, et, deuxièmement, qu’on est à une époque où le portable n’existe pas et qu’il est impossible de se coordonner en temps réel surtout donc durant ce très court créneau de temps, moins de quarante cinq minutes. 

En bref, ce scénario qui s’impose à nous montre qu’il est très peu probable que le crime ait pu être commis par plusieurs personnes. 

De plus, comment comprendre que les corbeaux en arrivent à dérouler un scénario aussi aléatoire et risqué après avoir réussi à agir pendant des années sans jamais avoir été repérés ni suspectés, en se montrant donc particulièrement prudents et avisés ? Surtout en passant au registre criminel. Car, c’est évident, une chose est de jouer les corbeaux, une autre est d’assassiner froidement un enfant ! Les enjeux sont clairement très différents. 

Christine et Jean-Marie Villemin, effondrés, à l’enterrement de leur enfant le 20 octobre 1984, à Lépanges-sur-Vologne. | ARCHIVES JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP

Le Pandore : A l’époque, pourquoi la gendarmerie a-t-elle été dessaisie alors que vous étiez si proche d’une conclusion ? 

Colonel Etienne Sesmat : Nous avons été dessaisis parce que le juge d’instruction, Jean-Michel Lambert, a opéré un virage à 180 degrés quelques semaines après la concrétisation de notre enquête et, sous l’influence de quelques personnes qui y trouvaient leur intérêt, a peu à peu abandonné notre piste pour concentrer exclusivement ses investigations sur Christine Villemin, la mère de Grégory. Il fallait bien trouver une explication à ce revirement irrationnel et les gendarmes sont devenus des boucs émissaires tout trouvés. 

Les personnes qui se sont alliées pour nous discréditer (et même nous déshonorer) et pousser le juge à la faute et dans cette tragique impasse sont un avocat (G. Welzer) qui a développé sa défense sur un perfide postulat : « Ce n’est pas lui, mon client (B. Laroche), puisque c’est Elle (Christine Villemin) », un journaliste (JM. Bezzina) acharné dès le premier jour à voir la mère coupable et enfin un policier (J. Corrazi) trop 

heureux de reprendre une enquête judiciaire avec une piste facile en damant le pion aux gendarmes. C’est ce dernier qui l’a raconté. Et répété. 

Les faits aujourd’hui, et depuis 1993, nous donnent complètement raison mais quel gâchis !

Le Pandore : Cela fait quarante ans que l’affaire Grégory est officiellement une énigme judiciaire pour la France entière, alors que pour vous, non. Êtes-vous frustré, dépité par un tel constat. 

Colonel Sesmat : Quarante ans plus tard, l’affaire Grégory est toujours à l’instruction. Le dossier est inabouti mais pas fermé. On ne peut pas la considérer comme un cold case. Et l’espoir d’une réponse judiciaire définitive peut donc être maintenu même si, à mon avis, il est très faible. 

De par sa durée exceptionnelle et son incroyable complexité, ce dossier impressionne et, par paresse intellectuelle ou par calcul, trop de personnes ont tendance à croire qu’on est dans l’incertitude la plus complète et entretiennent le sentiment de mystère. Et soulignent l’échec absolu de la justice. 

Rien n’est plus faux !

Le dossier est très richement fourni et la justice n’est pas restée impuissante et muette. On peut même considérer qu’elle a résolu la moitié de l’énigme en désignant avec force et constance la personne qui a enlevé l’enfant. En 1993 et en 2017.

Il s’agit du cousin des Villemin, Bernard Laroche, que nous avions arrêté et présenté au juge d’instruction le 5 novembre 1984.

Le problème est que cette personne est décédée 

– assassinée -, on s’en souvient, par le père de Grégory – et qu’en conséquence l’action publique est éteinte à son encontre.

Voilà la raison des difficultés que rencontrent les magistrats qui se succèdent à Dijon depuis 1987.

Pour pouvoir avancer, ces magistrats travaillent sur de potentielles complicités et, appuyés par les époux Villemin et leurs avocats, ils exploitent depuis seize ans tous les progrès de la police technique pour tenter de faire parler les indices matériels disponibles. Avec, par ailleurs, l’espoir qu’en maintenant la pression, quelqu’un finira par parler. Mais cela fait quarante ans qu’on nourrit cet espoir…

Quant aux indices matériels, essentiellement constitués par des traces d’ADN de contact, force est de constater qu’ils sont hélas très fragiles et peu probants. 

D’où les difficultés à apporter cette ultime réponse judiciaire et la crainte de se trouver dans une impasse. 

Cependant, il ne faut pas s’y résigner et il faut continuer de travailler pour enfin toucher  cette vérité si proche mais si fugace.

Nous le devons à Grégory et à ses parents. 

C’est l’analyse que je propose dans mon livre, avec une nouvelle approche centrée sur les faits du 16 octobre. Cette vérité possible ne sera peut-être pas judiciaire, elle sera historique.

Le Pandore : vous dites que vous avez été « brulé » par les médias, la police, les juges ; pourquoi ?

Avec le recul du temps qui nous amène à constater que nous, les premiers gendarmes enquêteurs, nous étions assurément sur la bonne piste deux semaines seulement après le crime, on ne peut qu’éprouver une certaine amertume et se poser beaucoup de questions. 

Comment a-t-on pu en arriver là ? Jusqu’à être, quarante ans plus tard, dans cette incroyable situation…

Pour le comprendre, il faut prendre conscience de la stupéfiante et monstrueuse tempête médiatico-judiciaire qui s’est abattue à Épinal et dans la vallée de la Vologne dès la fin de l’année 1984 et jusqu’à fin 86. Elle nous a emportés comme des fétus de paille en même temps qu’elle a ravagé les familles concernées et broyé les parents de Grégory. 

Un funeste concours de circonstances et de rencontres de personnes irresponsables et/

ou malveillantes ont conduit à cette catastrophe.

Alors oui, bien sûr, je ne peux qu’en vouloir à ces personnes, juge, avocats, policiers, journalistes, qui nous ont « brûlés  » mais nos états d’âme seraient bien déplacés face aux tourments vécus par les familles durant ces années tragiques.

Le Pandore : Aujourd’hui, êtes-vous toujours hanté par cette affaire ? Comment se remet-on d’un tel séisme médiatique ? 

Colonel Sesmat : Je ne suis pas « hanté  » par cette affaire. Je l’assume depuis le premier jour et dans chacune de ses incessantes évolutions. 

Je ne l’ai pas choisie, elle s’est imposée dans ma vie et, tant qu’elle ne sera pas bouclée, je devrai continuer de tenir ma place.

En 2006, j’ai choisi, en prenant ma retraite et en publiant mon livre, de témoigner, de raconter les faits tels que je les ai vécus pour que les autres n’écrivent pas l’histoire à notre place. Pour défendre mon honneur aussi et celui de tous les gendarmes concernés car nous avons été très gravement attaqués. J’ai également apporté les informations et les analyses qui me semblaient nécessaires pour comprendre l’affaire dans ses différents domaines et définir les responsabilités. 

Mon investissement se poursuit aujourd’hui puisqu’on continue de s’interroger sur le crime…

Propos recueillis par Jean-Claude Seguin :

Le Pandore et la Gendarmerie

Rédigé par pandore

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